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NAISSANCE D’UNE NATION – KDC #1

Aujourd’hui, une partie du public pointe du doigt n’importe quel élément désobligeant dans un film, allant d’un scandale exagéré par un groupe de fermés d’esprit ou d’une fausse polémique stipulant le racisme lattant (à raison parfois, tout de même) d’une œuvre. Embarquons dans une machine à remonter le temps et retournons au milieu des années 1910, aux États-Unis, où ce problème était présent, bien avant la télévision et Internet, avec le film  NAISSANCE D’UNE NATION.

NAISSANCE D’UNE NATION (1915, D.W. Griffith) – Kronique de Charles #1 :

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CONTEXTE

Nous sommes aux États-Unis au milieu des années 1910. Les grands studios de cinéma américains émergent petit à petit (Paramount et Universal notamment) et une concurrence de plus en plus importante s’installe au pays de l’oncle Sam. Comme aujourd’hui, les productions tentaient d’attirer les spectateurs en mettant au haut de l’affiche une vedette (comme Charlie Chaplin et Douglas Fairbanks). C’est à ce moment-là qu’on peut parler du véritable début de l’industrie cinématographique à Hollywood, qui s’amplifiera après la Première Guerre mondiale. La normalisation des longues productions va se standardiser, dont le film Naissance d’une Nation, ayant une durée d’un peu plus de 3 heures. Certains spécialistes du cinéma s’accordent à dire que ce long-métrage fait partie des œuvres ayant établi cette base.

Concernant le contexte sociopolitique, il faut rappeler (puisque c’est le sujet de l’histoire du film) que les États-Unis ont connu une guerre civile de 1861 à 1865, en l’occurrence la Guerre de Sécession, opposant le Nord et le Sud. Naissance d’une Nation  est l’adaptation de l’ouvrage The Clansman – An Historical Romance of the Ku Klux Klan de Thomas F. Dixon Jr, écrivain aux idéologies très discutables. Sorti 50 ans après ce conflit, le long-métrage raconte le déroulement de cet épisode historique selon le réalisateur D.W. Griffith, adoptant un point de vue sudiste.

Il connaîtra un grand succès populaire, malgré le message véhiculé, et fut très controversé pour son discours considéré comme raciste et son apologie au KKK, ce qui lui vaudra d’être interdit dans plusieurs villes américaines. Surtout que l’image de cette apologie est visible sur une des affiches de l’œuvre, montrant l’aspect courageux d’un membre de cette cohorte. Cette popularité contribuera à la renaissance de ce mouvement (au moins indirectement), qui avait disparu (officiellement en tout cas) au moment de la sortie du film. À propos de son film, Griffith déclara : « C’est la plus grande affaire que j’ai entreprise, mais je ne serai pas satisfait avant d’avoir réalisé autre chose ». Au moment de sa sortie, cette œuvre, qui était la plus polémique de l’ère muette du cinéma était le plus gros succès au box-office, seulement dépassé par Autant en emporte le vent en 1939.

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QUE RACONTE NAISSANCE D’UNE NATION ?

Naissance d’une Nation est une fresque historique et une des premières superproductions retraçant de façon épique une période de la Guerre de Sécession. Nous pouvons diviser le métrage en deux parties. La première commence par le début de cette guerre civile, où Griffith met en scène l’esclavage en Amérique. Il est question de deux familles, les Stoneman venant du Nord des USA et les Cameron venant du Sud. L’histoire est racontée du point de vue de ces feux familles et de leurs esclaves (et c’est important de le savoir pour cerner le message du film, ils sont de couleur de peau noire). La deuxième moitié explicite la montée de ce KKK, montrés quasiment comme des Avengers. En parallèle, notre cher Griffith met en scène deux histoires d’amour à travers les deux familles présentées ci-dessus.

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UNE ŒUVRE PIONNIÈRE DANS LA TECHNIQUE CINÉMATOGRAPHIQUE ET L’IMPACT SOCIAL

Naissance d’une Nation fait indiscutablement parti de ces œuvres ayant dépassées le simple stade de film. Son impact fut cinématographique, technique, politique, social et intellectuel. A la fois l’un des métrages les plus vénérés et les plus détestés, rarement une telle œuvre aura mérité autant d’éloges que de mépris, voire de peurs.

NOUVEAUTÉ ET INFLUENCES ITALIENNES

D.W. Griffith utilise des procédés artistiques que nous pouvons encore voir de nos jours sur de grands films hollywoodiens, comme le montage alterné, le gros plan et le travelling (initialement exploité pleinement par Giovanni Pastrone dans CABIRIA en 1914). Si cela paraît habituel aujourd’hui, il fallait y penser en 1915, et trouver des solutions pour alléger le matériel, permettant de contourner des scènes en plan large. Ces procédés existaient déjà, mais peu fréquents dans d’autres œuvres américaines, elles moins populaires, et cela a permis de dynamiser ce drame historique (le terme « historique » est bien sûr à relativiser , car il s’agirait presque, en interprétant, d’une « uchronie maladroite ») ainsi qu’à lui donner une structure narrative jamais vue avant, en résumé un style narratif hors norme et novateur (alors que les films comptaient environ une centaine de plans, celui-ci en compte quelques milliers). Ce sont ces techniques qui ont rendus attractif Naissance d’une Nation, grâce à son langage universel (mettant l’accent sur l’image, définissant le cinéma, art fonctionnant par l’image), arrivant par le même coup à attirer beaucoup de spectateurs pour une séance (ou plusieurs) de plus de 3 heures (presque inimaginable en ce moment), ce qui était révolutionnaire dans le milieu artistique.

Question acting, qui passerait presque inaperçu et pourtant remarquable, j’ai trouvé les performances de quelques acteurs très convaincantes, comme Henry Walthall, George Siegmann, Lilian Gish ou encore Walter Long. Côté décors, et cela se voyait en Italie aussi avec des œuvres comme CABIRIA et QUO VADIS, les productions n’hésitaient pas à mettre le paquet pour reconstruire les espaces de l’époque, tout comme la confection de costumes à la fois proches de la réalité historique et importante en quantité.

RETOUR DU KU KLUX KLAN

L’impact dans la société américaine fut tel qu’il y a eu un retour en force du Ku Klux Klan, en plus d’émeutes et d’assassinats à caractères raciaux.  Raisons pour lesquelles Griffith dû répondre avec son film suivant INTOLERANCE. Sans oublier la volonté de beaucoup d’américains d’interdire le film par le biais de nombreuses pétitions.

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LA GUERRE DE SÉCESSION ET LA « RACE » AFRO-AMÉRICAINE SELON GRIFFITH

Tout en considérant le génie cinématographique de cette œuvre, je suis stupéfait par le message véhiculé par Naissance d’une Nation. Historiquement, c’est un maillon essentiel du 7ème Art, il a permis de promouvoir tous les aspects techniques et rejeter tous les aspects moraux possibles. Par aspects moraux, j’entends par exemple le racisme, ne serait-ce qu’avec les personnages afro-américains, représentés caricaturalement  par une morale que je considère (comme beaucoup à l’époque et aujourd’hui) comme ignoble, affiché par des stéréotypes raciaux plus que dégradants (n’étant moi-même pas d’accord avec cette appellation de race).

De plus, la narration du film considère les Afro-Américains comme la cause des conflits durant cette Guerre, tout comme les abolitionnistes (alors que, dans la réalité, ces derniers, de par leur définition, souhaitaient supprimer l’esclavage, et donc tout rapport de force abusif de l’ « Homme Blanc » envers l’ « Homme Noir »).  De plus, la direction artistique est clairement volontaire dans ce stéréotype, tantôt, les personnages afro-américains sont joués par des Afro-Américains où on leur demandait de se comporter comme des idiots, tantôt, par des Caucasiens maquillés en noir, de façon très exagérée (avec la technique du blackface).

ACCUSATIONS DE RACISME

Griffith reprend des éléments de l’histoire américaine en les modifiant. Notamment la scène de l’assassinat d’Abraham Lincoln, celle du congrès avec les élus afro-américains (avec des élus mangeant du poulet tout en mettant les pieds sur la table, histoire d’alimenter les clichés) et l’attaque de la cabane.

Le réalisateur fut accusé de racisme, lui répondra qu’il n’était pas d’accord, car il ne pensait pas que cela serait aussi haineux et rejettera la faute au film (c’est comme si on vous accuse d’avoir volé du riz, et vous rejetez la faute à votre main). Même si cela faisait partie de la mentalité de quelques citoyens américains, cela n’a pas été du goût d’une autre partie, embarrassant Griffith pour le reste de sa carrière. Il est évident de trouver dommage d’avoir des révolutions cinématographiques pour propager ce propos et ces valeurs, utilisés comme un puissant outil de propagande, puisque que Naissance d’une Nation nous fait comprendre que le Ku Klux Klan permettait de maintenir l’unité des États-Unis.

Ce qui est surprenant, c’est le travail historique de la part de Griffith, entouré d’historiens et de spécialistes du contexte, qui était conséquent, mais cela prouve davantage le parti pris du réalisateur américain et sa façon de voir l’histoire par rapport à ce que les personnes associées lui ont dit sur cette page de l’Histoire. Tout cela est en effet bien curieux et nous rappelle (dans un cadre moins grave) l’entente aujourd’hui entre les scénaristes, les producteurs et les historiens lorsqu’il s’agit d’adapter au cinéma la vie d’une personne ou d’une société. Il y a toujours la main de l’auteur pour montrer des choses à la place d’autres, mais ici, le procédé est tout simplement mensonger et aucunement nuancé.

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NAISSANCE D’UNE NATION, EST-IL UN CHEF D’ŒUVRE ?

S’il est possible de se mettre d’accord sur la bonne performance des acteurs, la technique irréprochable et le rythme excellent, Naissance d’une Nation peut-il être considéré comme un chef d’œuvre ? Posons la question autrement, d’un point de vue éthique et sociologique : pourquoi vouloir faire croire que les États du Sud ont été accaparés par des noirs stupides, obsédés et fourbes, au point que les blancs n’aient plus eu la possibilité d’aller voter ? Aussi, que dire sur le propos annonçant que les problèmes sociaux des États-Unis sont arrivés à cause des Afro-Américains ?  Pourquoi annoncer que les anciens ennemis du Nord et du Sud se soient unis pour prôner une race supérieure ? Que le Klu Klux Klan ait été la solution pour sauver une nation sur le déclin social ?

Il est possible de penser que le racisme fut bien volontaire de la part de Griffith, qu’il était là pour dénoncer ce fléau et qu’il s’agissait en réalité d’une critique de celui-ci, qu’il s’agit donc d’une mésinterprétation. Je pense que tout est assumé de A à Z. Quand nous voyons les abolitionnistes du Nord venir piller et salir les sudistes grâce à leurs milices noires, il est clairement montré que ces Afro-Américains commettent des atrocités face à des héros sudistes, point. Lorsque nous voyons les méchants (selon le film) Afro-Américains prendre les pleins pouvoirs, ils rejettent les blancs qui ne peuvent même pas voter. Mais l’un des points d’orgue est la scène du congrès, où je n’y vois rien de maladroit : Griffith a réalisé, produit et écrit Naissance d’une Nation.

DE LA POSITION DES MŒURS

Le Ku Klux Klan serait la solution pour éradiquer la communauté afro-américaine, le film est extrêmement clair dessus. Le métrage explique que les noirs sont responsables de cette tyrannie barbare ayant mené ces conflits aux États-Unis, il y a là un détournement de l’Histoire. Et aussi un mensonge et une haine viscérale envers la communauté afro-américaine, s’ils sont montrés comme cela, c’est PARCE QU’ILS sont noirs. J’ai toujours considéré le fond avant la forme (bien que la forme ait son importance dans le fond). Toute œuvre, divertissante ou énigmatique (et plus) possède une intention scénaristique et morale (le degré changeant selon le propos).

L’intention de ce film n’est pas anodine. J’ai souvent entendu : « Mais c’est normal, les mœurs étaient différentes à l’époque ». Certes. Sauf qu’au moment de la Guerre de Sécession, même pendant l’esclavage, des Afro-Américains avaient un statut d’homme libre tout autant que des caucasiens et certains abusaient même de leur pouvoir pour se comporter comme des « mauvais Hommes blancs ». La haine, le pouvoir, l’amour, tout cela n’est pas une question de couleur de peau, de communauté ou d’ethnie, le rapport de force établi choisit un prétexte, ici, le prétexte est la méchanceté des Afro-Américains. Si les mœurs étaient comme cela, ils l’étaient pour une partie de la population, peut-être la majorité, mais pas tout le monde. C’est la notion de valeur humaine qui prime ici, le cinéma, dans sa vocation positive (et celle que je considère comme bonne) doit transmettre des bonnes morales, au contraire de Naissance d’une Nation, peu importe les mœurs de l’époque. La lecture était comme cela à l’époque, et est différente aujourd’hui, car la société a évolué (pas à la même vitesse partout, même dans les pays dits civilisés et équipés).

Cela rappelle les débats autour de la bande dessinée Tintin au Congo ou l’auteur Céline, voir l’humoriste Dieudonné. Il est possible de changer la vérité historique dans un film, tout dépend de la diégèse et du contexte.

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POURQUOI FAUT-IL VOIR NAISSANCE D’UNE NATION ?

Par cette dichotomie entre son langage cinématographique et sa morale, Naissance d’une Nation, en plus d’être un cas unique à la fois pionnier et paradoxal dans le monde du cinéma, est une œuvre époustouflante intellectuellement, moralement et techniquement. Il s’agit d’une leçon de cinéma (probablement le film le plus poussé dans le langage cinématographique à l’époque) et d’une bêtise éthique à ne plus répéter. Les propagandes islamistes et nord-coréennes utilisent exactement les mêmes méthodes, elles en sont les héritières.

Naissance d’une Nation est un séisme cinématographique exceptionnel à voir et nous avons la chance d’avoir accès à ce film libre de droits d’auteurs sur les sites d’archives et YouTube. En 2016 sortait THE BIRTH OF A NATION, pied de nez à l’œuvre de 1915 qui n’a de ressemblance que le titre et le contexte historique et sociale (tels sont les propos du chanteur Abd Al Malik lorsqu’on lui demanda le lien entre les deux films durant une avant-première à Strasbourg de THE BIRTH OF A NATION). Le film sort sur nos écrans le 11 Janvier 2017.

Naissance d’une Nation est un séisme cinématographique, un film choral exceptionnel à voir absolument.

 

Titre VO :  The Birth of a Nation

 

 

Sources :

Toutes les images de l’article sont issues du film. Elles n’ont pour but que d’illustrer le manuscrit et respectent le droit de diffusion dans le cadre d’une critique.

Les « Kroniques de Charles » sont des présentations et des réflexions sur des œuvres (tout support confondu). Ces contenus n’ont pas la prétention d’être des analyses poussées de films ou une réflexion très développée, mais plutôt de parler d’œuvres que je souhaite partager (qu’elles soient connues ou non), chaque opinion sera différente sur une œuvre de tout de façon. Les commentaires sont l’occasion de discuter de ce film, afin de permettre un débat et éventuellement suggérer un article sur d’autres œuvres, ayant un rapport ou non avec celui-ci présent.


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