La dame du 6

J’ai été invité par l’atelier d’images à la projection en avant-première de « La Dame du 6 » dans un cinéma parisien le 18 juin. Je m’y suis sciemment rendu sans vraiment connaître le sujet du film, sachant seulement qu’il a été primé aux Oscars de cette année dans la catégorie « Court documentaire ». L’idée étant d’arriver sans à prioris et de voir le film avec le regard le plus objectif et le plus neutre possible. Et de toute manière, rien n’aurait pu me préparer à ce que j’allais voir!


A

lice Herz-Sommer est une pianiste juive, et une survivante de l’holocauste. Née à Prague en 1903 dans une famille de musiciens, sa vie ressemble à un conte de fée. Cette pianiste de talent a côtoyé les élites culturelles de l’époque (l’écrivain Franz Kafka, Gustave Malher,..), s’est mariée à Léopold Sommer, un violoniste avec qui elle a eu un fils, Raphaël en 1937. Mais tout va basculer au début de la seconde guerre mondiale avec l’arrivée des Allemands dans sa ville et le début des mesures anti-juives.

alice-herz-sommers

Mais le pire reste à venir avec la déportation de toute sa famille dans les camps nazis. Ses parents, sa soeur jumelle, son mari y trouveront la mort. Seul Alice et Raphaël survivront. Une survie qu’ils doivent en grande partie à la musique qui les a porté pendant cette période terrible. Alice le dira, « Music is everything », une passion qui l’a alimenté toute sa vie.  Mais ce n’est pas le plus surprenant dans son témoignage! Cette femme de 107 au moment du tournage, souriante et très alerte, qui continue à jouer plusieurs heures par jour sur son piano, nous lâche une phrase choc :  « Je suis reconnaissante de cette expérience (comprenez par là son internement dans un camp de concentration), elle a fait de moi une meilleure personne ». Mais lorsque l’on découvre le personnage, une femme passionnée et d’un naturel optimiste à tout épreuve, on comprend qu’elle est toute à fait saine d’esprit et sincère dans sa déclaration.

Mon Avis

L

e film est extrêmement émouvant, j’ai eu toutes les peines du monde à contenir mes larmes lors du générique de fin. Si parfois l’on peut douter de l’humanité en découvrant les atrocités commises de par le monde par la main de l’homme, entendre Alice témoigner est un signe que tout n’est pas perdu tant qu’il y aura des gens comme elle. Aucune haine, aucun ressentiment de sa part quand elle s’exprime, alors qu’elle a perdu pratiquement toute sa famille. Et quand elle dit que la haine est inutile, car la « haine engendre la haine », la maxime prend un jour nouveau dans sa bouche.

Pour autant, aucun coté « beni oui-oui » chez Alice, simplement, comme elle le dit, il y a toujours quelque chose de positif même dans les choses les plus dramatiques. Un optimisme forcené et une sincérité qui étonne, mais qui force l’admiration. De même, lorsque son fils est mort à l’age de 64 ans, elle prend les choses de manière positive, arguant du fait qu’il est mort brutalement et sans souffrir. Et que finalement c’est un cadeau de ne pas avoir longuement souffert et d’avoir une fin douce. Là ou d’autres (à raison sans doute) se seraient lamentés que leur enfant soit « parti » avant eux.

Au final, l’important, c’est d’être en vie, et les relations avec nos proches. Tout le reste étant superflu. Un constat qui peut sembler évident, mais que l’on a tendance à vite oublier, englués dans nos problèmes du quotidien. Touché par le film, Patrick Bruel a accepté d’être la voix off de la version française, et pour un tarif très éloigné de ceux qu’il pratique habituellement (quasi gracieusement). Une sacré leçon de vie pour tous, mais donnée avec tellement de modestie et de recul qu’on ne peut que la recevoir bénéfiquement. La traductrice du film, présente également pour servir d’interprète lors de la soirée me disait également sa stupeur et son émotion lors de la traduction du film. On imagine aisément que d’entendre Alice dire « i’am gratefull » en parlant de son expérience des camps, ça ne peut laisser que coi un traducteur!

Echange avec le réalisateur, Malcolm Clarke

A

vant d’attaquer les questions, Malcolm nous explique que le film a bien failli ne jammais voir le jour! Lorsqu’on lui a parlé d’Alice Herz-Sommer, il a tout simplement refusé de la rencontrer! En effet, quelques années auparavant (en 2000), il avait été fortement éprouvé par le tournage de « Prisonner for Paradise », un documentaire sur la Shoah ou il a interviewé entre 300 et 400 survivants. Le sujet étant dur, il en est resté marqué psychologiquement et ne se sentait pas capable de refaire un film sur le sujet. Il nous raconte (assez malicieusement d’ailleurs) que suite à l’insistance de Caroline Stoessinger, une amie pianiste qui à l’époque l’hébergeait dans un immense appartement New-Yorkais, il a fini par ne plus avoir le choix et s’est rendu à Londres pour rencontrer Alice. Le coup de foudre a été quasi immédiat!

Malcolm Clarke
Malcolm Clarke (à droite) et Nick Reed (le producteur du film) aux Oscars (Photo by Kevin Winter – © 2014 Getty Images)

Un projet contrarié

I

l s’est donc rendu de nouveau à Londres avec son équipe (qui a travaillé de manière bénévole) en 2010 pour réaliser 2 jours et demi de tournage. L’idée de Malcolm était de réaliser un film d’une heure trente, et il avait même réussi à se faire prêter un jet par Richard Branson (le PDG de Virgin) avec une équipe médicale pour emmener la vieille dame à Prague pour la faire renouer avec les lieux de sa jeunesse. Hélas, Malcolm devra se contenter de ces 2 jours et demi qui seront le seul matériel dont il disposera pour monter son film. Pourquoi? Parceque l’un des petits-fils d’Alice à lancé une procédure judiciaire arguant du fait qu’elle n’avait plus toute sa tête. Mais le vrai motif était purement financier puisqu’il réclamait 50% des bénéfices! Après 2 ans de procédures, Malcolm a pu garder ses rushs, mais ne pouvait plus approcher Alice (même si visiblement, il a usé de subterfuges pour continuer à communiquer avec elle). Mais au final, on se dit que la durée du film est finalement la bonne et que le film est très bien comme cela.

Macolm nous confiera qu’il est également musicien, mais que c’est un sujet qu’il n’a pas abordé avec Alice. Par contre, il a du user du charme de son jeune et séduisant cameraman pour convaincre Alice de se laisser filmer. En effet, souffrant depuis plusieurs années d’arthrite, elle a perdu l’usage de l’un de ses petits doigts, la contraignant à devoir réapprendre à jouer avec neuf doigts. Perfectionniste dans l’âme, cette travailleuse acharnée n’était pas satisfaite de cette nouvelle façon de jouer et refusait donc de jouer devant une caméra!

Paradoxalement, ces quelques jours de tournage auront nécessité plus de trois ans de post-production! Il faut dire que cela a été géré en plus des autres projets de Malcolm et de son équipe. Au final, le budget du film sera seulement de 12 000€. Malgré tous ces aléas, Alice aura pu voir le film (sans la présence de Malcolm) avant de décéder. Et suprême ironie du sort, elle est morte exactement une semaine avant l’oscarisation du film. Ce qui n’a pas influencé les jurés des Oscars qui avaient déjà fait leur sélection. Mais cela a suscité beaucoup d’émotion, de communication et de publicité au film qui s’est vendu partout dans le monde, Alice étant à ce moment la plus vieille survivante de l’holocauste. Une belle démonstration de l’un des adages prônés par Alice elle-même : il y a du bon en toutes choses, même les plus négatives!

Un réalisateur humain et chaleureux

J

‘ai profité de l’occasion pour échanger quelques mots avec Malcolm, histoire de voir si mon anglais n’était pas trop rouillé et pour le remercier du film! Je lui ai avoué que j’étais venu sans rien savoir du film, mais que je repartais totalement conquis. Simple et très accessible, il est enchanté de l’accueil du film par le public. Comme tous, il est lui aussi marqué par ce témoignage et par la phrase d’Alice qui dit « je suis reconnaissante d’avoir vécue cette expérience, elle a fait de moi une meilleure personne ». Malcolm me dit que c’est quelque chose que je garderai en tête. Je lui répond que oui, et que cela permet de relativiser les petits problèmes du quotidien. On s’est ensuite quitté sur une poignée de main chaleureuse. Bref, tout à fait l’image que je me fait du flegme et de la bonhomie à l’anglaise (un peu comme Colin Baker lors du salon Paris-Manga).

  

La dame du 6
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Article écrit par Mat

Mat, créateur et admin du site GeeKroniques. Grand fan de séries et de culture Japonaise, je vous parle de mes coups de coeurs et parfois de mes coups de gueule! Retrouvez également mes tutos informatiques sur mon autre site.

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